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Ce que dénonce la presse alternative
Par Virginie Vendamme

24 mars 2003 /

Suite du compte-rendu de la journée "Médias, l’esprit de résistance" organisée le 28 mars à l’IUT de Bordeaux. L’après-midi accueillait Pierre Rimbert, Gilles Balbastre et le fondateur du journal girondin de presse alternative « Nouvelles vagues ».



Pierre Rimbert a tout d’abord expliqué que la critique des médias est, selon lui, quelque chose de si inhabituel qu’on parle alors de « dénonciation », de « polémique », voire de « mise en péril du droit d’informer ».

Le public est-il donc condamné à écouter le discours dominant de la presse dominante ? Non, car il existe en parallèle à ces médias dominants, qui semblent faire la pluie et le beau temps, des publications telles que « Nouvelles vagues », « PLPL », ou encore « Fakir », le journal créé par François Ruffin, à Amiens. Ceux-là livrent une autre forme d’info, et informe en particulier sur les médias, si peu enclins à reconnaître leurs bêtises, ou à accepter les critiques.

Ils parlent par exemple des ménages qu’acceptent certains journalistes, soulignent le fait que certains travaillent dans plusieurs publications à la fois, ce qui ne va pas encourager à critiquer tel ou tel média. « Serge July, qui anime une émission de télé avec Christine Ockrent ne parlera jamais dans Libération des ménages de sa consoeur. Jean-Marie Colombani, qui signe un éditorial dans Challenges, et qui est membre du conseil d’administration du Nouvel observateur, entre autres choses, n’encourage en rien le pluralisme, puisque ainsi, ces médias ne vont pas se critiquer entre eux ». (D’autres entreprises ne le font d’ailleurs pas non plus, ndlr).

Selon Pierre Rimbert, cette presse alternative veut aussi faire preuve d’une plus grande mémoire que ces grands médias, décidément atteints d’une amnésie récurrente. « Ceux-là même qui dénoncent la libéralisation à outrance sont ceux qui l’ont encouragée et légitimée quelques années avant », dit Pierre Rimbert.

Enfin, les grands médias sont de grandes entreprises attachées à de grands groupes. 50% de la presse magazine en France appartient au groupe Matra-Hachette. Pierre Rimbert cite Lagardère : « Un groupe de presse est capital pour assurer des commandes ».

« Comment, quand les médias sont devenus des acteurs économiques, et pèsent en bourse, peuvent-ils encore informer sur l’économique et le social ? » demande Pierre Rimbert. Il explique aussi qu’un actionnaire peut légalement porter plainte contre l’entreprise dont il détient des actions si celle-ci mène une politique qui dessert ses intérêts. C’est ainsi par exemple Karl Zéro sur Canal +, qui prétend présenter un « vrai journal » alors qu’il s’autocensure sur certains thèmes pourtant épineux, comme la question du football.

L’affaire du bagagiste de Roissy

Gilles Balbastre, a quant à lui témoigné sur ses cinq ans passés dans le Nord, pour France 2, et expliqué les motifs qui l’ont conduit à quitter cette rédaction. ( A ce propos, lire son livre « Journaliste au quotidien », avec Alain Accardo).

Il a aussi exposé comment les journalistes, pressés par le temps, arrivent parfois à monter en épingle des affaires qui peuvent devenir très nocives pour leurs victimes. Pour cela, il mené une minutieuse observation d’une affaire : celle du bagagiste de Roissy.

Chronologiquement, il décrit les infos qui tombent une à une, à la radio, et souligne les approximations, les commentaires gratuits, les observations mal placées, les suppositions, les insinuations douteuses, les certitudes qui ne reposent sur rien. La démonstration, très pertinente, a de quoi faire frissonner devant tant de manque de professionnalisme, et devant un tel mépris du public, qui ne peut que croire ce qu’on lui dit, puisqu’il ne dispose pas des moyens de vérifier. Le bagagiste, lui, en est la première victime.

Gilles Balbatsre, lui, a choisi de quitter France 2. il est devenu documentariste, il écrit dans Le Monde Diplomatique. C’est sa façon à lui de résister.

D’autres contribuent à PLPL, Fakir, ou Nouvelle vagues. Mais ils reconnaissent aussi qu’ils ne gagnent pas leur vie.

Les écoles de journalisme : « écoles du mensonge » ?

Un débat dans le débat s’est aussi installé au cours de l’après-midi, sur le livre de François Ruffin, « Les petits soldats du journalisme », paru aux éditions Arènes, et qui critique très sévèrement le CFJ (centre de formation du journalisme), de Paris. Enquête, témoignage, ou brûlot ?

« Enquête ! » plaident Gilles Balbastre et Pierre Rimbert, qui estiment que François Ruffin a enquêté pendant deux années, prenant des notes, collectant des témoignages des observations, en s’immergeant dans son sujet, et en appliquant la technique de « l’immersion participante ».

Edith Rémond et Gaël Le Dantec ne sont pas d’accord. Pour la directrice, « François Ruffin, s’il était venu à l’IUT de journalisme de Bordeaux, aurait pu écrire le même livre à la sortie. Il aurait pu faire la même compilation de citations, car ce sont des mots que l’on peut facilement entendre en deux ans dans une école de journalisme ». Elle met d’ailleurs en cause la façon dont François Ruffin a collecté ces citations. « Car il cite plusieurs fois Imprimatur. Je vous ai d’ailleurs apporté l’exemplaire en question, vous verrez comment certaines phrases sont détournées ou même mal recopiées » (des exemplaires restent disponibles à l’IUT ndlr)

Sujet d’actualité en raison de la sortie récente de ce livre, la qualité de l’enseignement dans les écoles de journalisme fut largement débattue.

« Nous ne ressemblons pas au CFJ. Et cet IUT est lui aussi loin d’être parfait », reconnaît Edith Rémond. Mais selon elle, il est facile de tirer en premier sur les écoles de journalisme. « Ce débat est épouvantablement secondaire ! », lance-t-elle. D’aqutres questions sur la presse semblent plus urgentes.

Tout de même, les principes de l’IUT de journalisme seront précisément rappelés : « Une école est un lieu pour savoir faire la presse telle qu’elle se fait. Même si nous n’avons pas d’obligation de résultat, la plus grosse inquiétude de nos étudiants qui en sortent est celle d’avoir du travail. Mais ici, nous donnons aussi dans nos enseignements des outils pour critiquer et analyser, pour faire progresser la presse. Nous avons maintes fois invité Pierre Bourdieu, des sociologues, des spécialistes pour entretenir ce débat. Il est vrai qu’il y a des dérives. Mais enfin, nous ne sommes pas des ennemis qu’il faut aller pilonner en premier. Le débat ici doit être constructif et donner envie de faire un travail de qualité ».

Pour ce qui est des dérives de la presse, Edith Rémond a rappelé que le plus grave restaient quand même les dommages causés aux victimes. « Les journalistes sont redevables de leurs erreurs devant la justice. Ce qui est terrible, c’est que le public ne s’arroge plus le droit de se défendre contre la presse. Il faut expliquer aux victimes qu’il y a une législation. Il faut aider les victimes en cela ».

En guise de conclusion : Alors, résistance ou résignation ?

En sortant de la salle, de nombreux étudiants venus assister à cette journée semblaient abattus, et se demandaient, à peine ironiques : « Bon, qu’est-ce je fais ? J’ouvre un garage ou je veux toujours être journaliste ? »

Il y avait en effet de quoi se poser des questions, devant un tableau si noir et si cru du métier. Mais rappelons que cette journée s’appelait « le journalisme de résistance ». Loin de nous, donc, l’idée de résignation. Nous sommes d’ailleurs bien trop jeunes pour ça !

Les membres de l’association des anciens n’ont que quelques années de plus que les étudiants qui sortent de l’école, et s’ils décrivent un quotidien qui est loin d’être facile tous les jours, ils aiment encore leur métier !

Pas toujours bien payé, sans horaire, la vie quotidienne est difficile. Elle l’est d’autant plus pour les précaires, les pigistes, les CDD, tous ceux qui rament...

Mais il faudrait retenir de cette journée l’indignation salutaire qui anime Gilles Balbastre, les réflexions constructives et lucides de Gérard Grizbec, les conseils avisés de Fernando Malverde, la rigueur de François Brune, la résolution d’Edith Rémond, et l’espoir des futurs journalistes...

Se couler dans le moule, oui, mais...

Pour entrer dans le métier, il faut apprendre des techniques de journalisme. Il faut se « couler » dans un moule, quoi qu’on en dise. Cela restera la meilleure façon d’obtenir un poste. Mais après, il n’est pas nécessaire ni obligatoire d’adopter le cynisme de nos supérieurs, et encore moins leur attitude générale. Les pressions existent, les intervenants l’ont dit, nous le vérifions sur le terrain. Encore faut-il ne pas en inventer quand il n’y en a pas. Il reste toujours un espace où il est possible de faire son métier, c’est à dire collecter de l’info, qui permet de décrypter le monde, de le raconter tel que nous le voyons, simplement avec honnêteté.

Pour cela, il faut lutter contre les tentatives de manipulation des communicants. « Reculez de trois pas dans vos cadrages, conseille Fernando Malverde, pour montrer si effectivement la foule présentée à l’image correspond à celle qui est vraiment là. Racontez les conditions du reportage, dites quand vous ne savez pas, dites quand vous n’avez pas accès à l’info que l’on vous réclame ».

En presse écrite

En presse écrite, en locale, il est aussi possible de proposer des sujets qui sortent des sentiers battus, qui quittent l’institutionnel, qui proposent un autre éclairage. En résistant contre un certain conformisme, en refusant des commentaires du type « c’est toujours comme ça qu’on a fait », assénés par les anciens, montrons-leur gentiment qu’on peut aussi faire autrement. En un mot, ayons l’ambition, même si elle est naïve, de dire que nous allons faire une presse qui ne soit plus critiquable.

Et nos chefs ?

Les pressions économiques existent, les liens avec les grands groupes sont serrés, mais rappelons aussi à nos dirigeants que notre métier premier est celui d’apporter de l’info qui soit juste, et non pas d’apporter la même que celle du voisin.

Les pressions économiques sont ce qu’elles sont, mais c’est aussi à nos chefs de défendre les intérêts d’une rédaction, de lutter pour nous permettre d’exercer notre métier. Car faire un journal sans publicité, c’est possible, mais faire un journal sans journalistes, c’est impossible. C’est leur mission de nous défendre face aux autres acteurs d’une entreprise de presse, et face aux hommes politiques.

Rappelons-leur aussi que notre public n’est pas une ménagère de moins de cinquante ans, qui n’est qu’un personnage inventé par les publicitaires, que ce public n’est pas un amalgame formant des « gens » dont on saurait mieux qu’eux à quoi ils peuvent bien s’intéresser. Ces « gens » sont avant tout des personnes, et méritent qu’on les respecte. Pour cela, à nous d’être bons, à notre niveau ! Il faut nous attacher à des infos pertinentes, pleines de sens. Il faut continuer à se former, à lire des livres, d’autres journaux, à regarder le monde, à s’intéresser à différentes couches sociales, à apprendre et à découvrir certains phénomènes en profondeur. Les écrits des sociologues, des historiens sont aussi là pour ça.

Il faut arrêter d’être conformiste, de se comporter comme une meute. Il faut au contraire être imaginatif et curieux dans ses choix de sujets (quand nous pouvons choisir et proposer, cela arrive encore), garder le sens de l’humour (très important !!), choisir des angles inédits, inspirer le respect pour nos connaissances et notre juste appréciation des choses. Il faut être précis dans ses mots. François Brune a expliqué avec brio qu’écrire « Un SDF est décédé d’hypothermie » n’est pas la même chose que de dire « un pauvre est mort de froid ». Pierre Carles, dans l’interview parue dans Imprimatur cité ci-dessus ne dit pas autre chose. Ce choix des mots nous appartient encore, souvent.

C’est sûrement le défi à relever pour que la presse se porte mieux. C’est aussi pour tout cela que ce métier reste si passionnant.


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