31 mai 2006 /
Marie Bourreau est sortie de l’IUT en juin 2003. Après son stage d’été, elle est partie en Afghanistan. Devenue pigiste pour les médias français, elle y a passé trois années intenses. Aujourd’hui, elle prend un nouveau départ, direction l’Egypte. Rencontre.
Le choix de la spécialisation.
A l’IUT, j’ai opté pour la spécialisation télé parce que c’était le
média dans lequel j’étais le moins à l’aise. Or, quitte à suivre une
formation technique, j’ai voulu aller jusqu’au bout du principe et
profiter des moyens qui étaient offerts. En arrivant, je pensais
plutôt m’orienter vers l’écrit ou la radio, mais j’ai bien réfléchi et
je crois que c’était un des meilleurs choix que j’ai fait.
Du coup, en sortant, j’étais polyvalente. Peut-être pas aussi bonne en
presse écrite ou en radio que quelqu’un de spécialisé, mais cela m’a
permis de pouvoir travailler dans les trois domaines et de ne pas me
fermer de porte, ce qui est un atout non négligeable quand on est
journaliste pigiste.
Le départ pour l’Afghanistan.
Au départ, c’était un simple voyage entre copains. Mais c’est devenu
un véritable raid à dix voitures, parrainé par l’Unesco. L’idée,
c’était de rejoindre Kaboul par la route du centre, par Herat, route
qui n’avait pas été rouverte depuis la fin de la guerre et où se
trouvent un certain nombre de lieux historiques. Des géologues, des
archéologues, des géomètres nous accompagnaient, et tout le long du
trajet j’envoyais des chroniques à RTL.
Dans le convoi, j’ai rencontré Thomas, qui partait faire de
l’humanitaire. Alors que j’avais rassuré mes parents en leur disant
que je ne serais absente que deux mois, j’ai dû leur expliquer que je
resterais plus longtemps que prévu.
Thomas Coghlan et Marie Bourreau. Ghazni, sud de l’Afghanistan. Septembre 2005. Crédit photo Véronique de Viguerie.
J’avais envie d’avoir une expérience professionnelle à l’étranger ; je
savais que si je voulais démarrer vite, c’était sans doute par là
qu’il fallait le faire, parce que les places sont chères en France.
Mais je ne me doutais pas que ce serait l’Afghanistan. Et si on
n’avait pas été deux, je ne suis pas sûre que j’aurais eu les épaules
de rester.
Ce qui m’a surprise à mon arrivée, c’est que le pays était en pleine
reconstruction : tout était à rebâtir, mentalités, les systèmes
politique et économique, bref c’était une période très intéressante à
suivre pour les journalistes... et les journalistes n’étaient pas là.
Très vite, nous nous sommes retrouvés trois reporters français en
Afghanistan, ce qui laissait un peu de place pour travailler.
Le travail pour Aïna.
Je ne me sentais pas le courage de couvrir l’actualité du pays, parce
que je parlais anglais mais pas un mot de farsi, en plus j’étais une
fille, ce qui ne laisse pas de liberté de mouvement et au début,
c’était le chaos.
J’ai rejoint l’ONG Aïna, qui a été fondée par le photographe Reza.
Elle offrait aux jeunes Afghans une formation en journalisme. Les
rôles étaient donc complètement inversés. Je suis devenue professeur
de journalisme, à former des Afghans, qui étaient souvent plus âgés
que moi, en presse écrite et télé. Cette double casquette m’a permis,
d’abord, de garder la main en télé alors que je n’avais apporté aucun
matériel, et puis de me refaire une formation en accéléré. Surtout,
quand j’étais avec mes étudiants, je pouvais sortir sans problème pour
les accompagner en reportage. Enfin, à leurs côtés j’ai appris la
langue. Maintenant je parle le farsi, je le comprends mais je ne le
lis pas. C’est un problème.
A la fin de l’année scolaire, j’ai quitté Aïna pour travailler avec
les médias français.
Sur la colline du tombeau des rois, Kaboul. Mai 2003. Crédit photo Véronique de Viguerie.La pige en Afghanistan.
En juillet 2004, je suis partie tourner des images sur les immolations
des femmes dans l’ouest de l’Afghanistan. Par hasard, j’ai rencontré
Marine Jacquemin (grand reporter à TF1 à l’époque, qui a monté un
projet avec Muriel Robin à Kaboul : l’hôpital pour la mère et l’enfant)
qui avait entendu dire que je travaillais sur ce sujet. Elle m’a
conseillé d’en faire un grand reportage pour Envoyé Spécial, avant
d’appeler elle-même les rédactrices en chef du magazine. Je suis donc
retournée filmer à Herat, j’ai fait un aller-retour à Paris et j’ai
vendu mon premier reportage (il a été diffusé au moment des élections
présidentielles afghanes, en septembre 2004) [1].
Ensuite, je suis devenue correspondantes de RFI, donc de TV5 et des
radios francophones (Radio Suisse-Romande, Radio Canada, Radio
Vatican).
Parallèlement, j’ai rencontré une jeune photographe française,
Véronique de Viguerie (elle travaille pour une agence américaine :
WPN), qui se lançait elle aussi en Afghanistan. Nous avons décidé de
travailler ensemble. C’est vraiment à partir de ce moment-là que j’ai
pu me déplacer. On a été toutes les deux à Kandahar, au Pakistan dans
les zones tribales, des choses qu’on n’aurait pas faites seules.
Nous sommes rentrées en France en décembre (2004), avec des textes et
des photos. Nous avons fait la tournée des rédacteurs en chef de Paris
: Marie-Claire, Elle, Le Figaro Magazine [2], Le Monde 2,
Libération... L’afghanistan suscite l’intérêt des médias français
depuis un moment. Les rédacteurs en chef d’aujourd’hui sont les
reporters d’hier et beaucoup avaient couvert l’invasion soviétique.
Ils étaient plutôt charmés de voir deux petites jeunes débarquer dans
leurs bureaux, et beaucoup nous ont fait confiance. Cétait presque un
parrainage de leur part aussi.
Quartier de De Afghanon, Kaboul. Septembre 2005. Crédit photo Véronique de Viguerie.La pige vue de l’étranger.
Au niveau financier, le grand reportage coûte très cher. Il y a
d’abord l’assurance, hors de prix, et la vie sur place, qui n’est pas
du tout bon marché. J’avais besoin d’un traducteur, payé à la journée
: de 50 à 100 dollars. Et pour certains sujets, comme le trafic de
drogue, il fallait travailler en plus avec un fixer (guide qui aide le
journaliste par ses contacts, sa connaissance du terrain), à payer lui
aussi.
Et il fallait avancer l’argent en attendant que les piges soient
réglées, ce qui peut prendre un certain temps. Les services de
comptabilité ont tendance à vous oublier quand vous êtes à l’étranger.
C’est insupportable, surtout quand on voit les moyens donnés par les
rédactions anglophones à leurs reporters.
Mais la seule choses vraiment ennuyeuse, c’est cette espèce de censure
quant au choix des sujets : on ne nous demandait que des reportages
sur les talibans, les femmes ou la drogue. On avait du mal à sortir de
ce schéma, même si on expliquait qu’il y avait autre chose.
Au bout d’un moment, j’avais le sentiment de devenir presque trop
locale, trop installée dans le pays. J’avais du mal à mesurer ce qui
pouvait susciter l’intérêt des médias français.
Par ailleurs, je faisais très attention à ce que je publiais. La
situation est tellement complexe, c’est parfois difficile de
comprendre ce qui se passe.
Bien sûr, il y a des livres qui sortent sur l’Afghanistan ; mais sur
place, il y a ce qu’on ressent, ce qu’on vit, et puis il y a des
diplomates, et les experts des différentes agences de Nations Unies,
qui ont une autre vision des événements. A Kaboul, on trouvait tous
les sièges des organismes internationaux et des ONG. Il faut
rencontrer tous ces gens qui gravitent dans ce microcosme, ainsi que
certains fixers.
Ensuite on essaye de se faire une opinion. Mais au bout de trois ans,
je ne peux pas dire que je connaisse l’Afghanistan. C’est un pays que
j’ai rencontré, mais le connaître vraiment, culturellement... il y a
des faits que l’on ne peut pas comprendre.
La vie en Afghanistan.
C’est un pays épuisant. On prévoyait souvent un retour à Paris tous
les quatre mois, pour une période de deux semaines. Dans ces cas-là,
je m’efforçais de cloisonner entre l’Afghanistan et la France. C’était
important pour moi de retrouver vite un rythme normal. Je n’avais pas
le droit d’avoir le blues de là-bas quand j’étais à Paris, même si
c’était le cas, parce que ce sont des vies assez fortes. Les émotions
sont démultipliées. Néanmoins, j’étais ravie de rentrer en France, de
dormir avec un oreiller, d’avoir de l’eau au robinet, de pouvoir
allumer la lumière la nuit.
Et à Kaboul, la vie est chère. Pour les expatriés, les loyers valent
parfois ceux de Paris. Heureusement, mon ami travaillait pour une
entreprise française, donc il était logé dans une guesthouse et je
partageais sa chambre. Mais je me suis rendue cmpte qu’on ne peut pas
partir dans un pays étranger les mains vides. La plupart des Français
qui sont là-bas viennent d’ailleurs de milieux aisés. Les salaires des
ONG ne sont pas énormes, il faut que la famille assure derrière.
Je sais que j’ai eu de la chance, avec mon ami qui gagnait notre vie
pour deux les premiers mois, et le soutien de mes parents la première
année. Je savais que si je me cassais le nez, ce n’était pas très
grave.
Province de Khowst, sud de l’Afghanistan. Avril 2005. Crédit photo Véronique de Viguerie.Le départ d’Afghanistan.
J’ai décidé de rentrer parce que j’ai senti que je devenais trop
impliquée dans le pays. Avec Véronique, nous avons beaucoup voyagé, on
a eu une vie de femme incroyable là-bas. Cependant, après quasiment
trois ans, je sentais que j’avais fait le tour, par rapport à ce que
les médias français me proposaient de couvrir en Afghanistan. J’avais
l’impression d’avoir traité plusieurs fois le sujet et d’être un peu
prise au piège. Il était temps de rentrer.
En plus, c’est un pays où l’on ne construit pas grand-chose. On vit
dans un monde à part, avec des étudiants attardés, c’est un tout petit
milieu.
Avec mon ami, on avait dit qu’au bout de trois ans il fallait prendre
une décision, soit y rester pour s’installer, soit partir et s’offrir
une nouvelle vie, un peu différente.
Je quitte l’Afghanistan mais j’ai envie de suivre ce pays. Je suis en
train d’écrire un livre dessus, à la fois pour moi, pour laisser une
trace concrète, et puis pour que les médias disent « cette fille
connaît le pays, s’il se passe quelque chose, on la renvoie là-bas,
elle a les épaules » [3].
Et c’est un pays dans lequel on a encore des attaches affectives et
professionnelles. Mon ami a lancé un restaurant français à Kaboul,
avec trente salariés, et va continuer de le surveiller. On y
retournera tous les six mois, mais je ne veux plus vivre là-bas.
L’Egypte, nouvelle destination.
Thomas travaillant dans l’aide au développement, chacun avait posé ses
conditions sur la destination : il fallait que ce soit un pays où il y
ait de la place pour un ou une journaliste, un pays où lui trouverait
du boulot, un pays où notre vie serait un peu plus confortable qu’en
Afghanistan, et enfin un pays où on pouvait envisager d’y rester
quelques années.
J’arrive à un moment où soit je continue à être pigiste, à vivre un
peu au jour le jour, soit je construis une famille, et en Egypte
peut-être qu’on peut allier les deux. Et puis il y avait aussi l’idée
de ne pas être trop loin de l’Afghanistan : par avion, Le Caire-Dubaï,
c’est moins de trois heures, Dubaï-Kaboul, deux heures et demie,
c’était idéal.
Je pars dans l’optique de couvrir aussi le Tchad et le Soudan, ce sont
des pays qu’on suit régulièrement dans les médias. Cela fait une
énorme zone, mais il y a beaucoup de journalistes français basés en
Egypte. Certains sont installés depuis plus de dix ans, avec une
connaissance du pays bien plus approfondie que la mienne. Si je veux
être un petit plus, une valeur ajoutée, si je veux continuer à
travailler pour plusieurs médias, sans qu’on se marche sur les pieds,
il faut un terrain de travail assez large.
J’aimerais bien pouvoir continuer à voyager, j’adore ça mais je crois
que c’est important d’arriver à être spécialiste d’une région. D’une
certaine manière je vais continuer à travailler sur l’Afghanistan,
parce que, l’Egypte, le Soudan, on dit que ce sont des bases arrières
d’Al-Qaeda. Devenir assez spécialiste peut être une bonne orientation,
pour pouvoir être appelée sur ce genre de sujets.
Le rêve, ce serait d’être correspondante, mais j’ai encore des choses
à prouver. Pour l’instant, je ne veux pas trop anticiper. Je n’ai
jamais rien planifié, ça m’est toujours tombé dessus, alors on verra.
Diplômée de l’IUT de journalisme en 2003 (formation en deux ans). Née le 20 novembre 1980.
Parcours avant l’IUT :
2x 1ère année de médecine ;
Collaboration avec un journal médical ;
DEUG de lettres modernes à la Sorbonne.
Interview réalisée le jeudi 18 mai 2006, par téléphone.
[1] Son reportage sur la drogue devrait être prochainement rediffusé sur Envoyé Spécial.
[2] D’ici deux semaines environ, Le Figaro Magazine devrait publier un grand reportage sur les derniers nomades afghans.
[3] Le livre sortira en octobre prochain chez Hachette.